Construire des intestins virtuels pour affiner les formulations de nouveaux médicaments
Savoir ce qui arrive à un médicament après avoir été avalé est d’une importance capitale pour atteindre un dosage efficace et précis. La plupart des molécules médicamenteuses découvertes aujourd’hui sont lipophiles et présentent une faible solubilité aqueuse, ce qui signifie que d’importants efforts sont déployés pour concevoir différentes formulations pouvant aider à les administrer de manière efficace. Le projet INTESTINANOS, financé par l’UE, entendait relever ce défi en développant un système in vitro qui pourrait modéliser précisément les processus ayant lieu à l’intérieur des intestins. Le dispositif physique est complété par une simulation moléculaire avancée qui offre des outils de calcul pour examiner, comprendre et repenser les formulations. La solubilité d’un médicament dans les intestins est le principal facteur de sa biodisponibilité chez l’hôte. «Plus sa solubilité est élevée dans le liquide gastro-intestinal, plus la perméabilité du médicament à travers les intestins est importante», explique Christel Bergström, coordinatrice du projet. Les molécules médicamenteuses lipophiles peuvent être formulées avec des lipides afin d’accroître la quantité dissoute dans les intestins. Dans les intestins, la bile aide à solubiliser les graisses et les lipides, en formant des sphères appelées micelles. Les molécules lipophiles, y compris les médicaments, font ensuite partie intégrante de ces complexes et la disponibilité de l’absorption dépendra, entre autres, du processus digestif.
Manque d’outils
Avant le projet INTESTINANOS, des systèmes existants modélisaient ces processus en parallèle, menant des expériences distinctes pour chacun d’entre eux. «Lorsque j’ai commencé, il n’y avait aucune technique disponible pour comprendre l’administration avancée des médicaments ni les performances dans le tube digestif», explique Christel Bergström. «Ce qui représente une véritable lacune dans la boîte à outils pour comprendre les performances des formulations médicamenteuses durant leur digestion.» Cette lacune a entraîné des prévisions inexactes, comme le fait de prédire qu’un médicament pourrait se séparer d’une solution par précipitation, alors qu’en réalité il était absorbé dans le sang. «Ces modèles n’avaient pas établi de lien avec la dynamique des systèmes, ils ne représentaient pas correctement la réalité in vivo», déclare Christel Bergström. «Nous voulions examiner tout cela de manière simultanée.» À l’Université d’Uppsala en Suède(s’ouvre dans une nouvelle fenêtre), l’équipe de Christel Bergström a mené une étude qui a modélisé simultanément les processus de l’administration de médicaments, de la digestion et de perméabilité, par le biais d’expériences centrées sur les lipides, en étudiant l’interaction dynamique des micelles avec les systèmes enzymatiques. Avec l’aide des chercheurs de l’Université Catholique de Louvain(s’ouvre dans une nouvelle fenêtre), l’équipe a construit cinq intestins virtuels, reflétant la variabilité existante d’une personne à l’autre. «Pour le moment, nous disposons uniquement de modèles pour les Européens en bonne santé, sur la base de la population à laquelle les scientifiques de l’Université Catholique de Louvain ont eu accès», explique Christel Bergström. Elle ajoute que l’équipe souhaite désormais établir des modèles pour différentes populations ethniques, différentes cohortes d’âge et divers groupes de patients, comme les personnes atteintes d’une maladie inflammatoire de l’intestin.
Commercialisation
Leur modèle sophistiqué des intestins est actuellement en cours de commercialisation par le biais d’une entreprise dérivée appelée Enphasys(s’ouvre dans une nouvelle fenêtre). «Nous cherchons maintenant à le miniaturiser et à le rendre applicable pour le traitement automatisé et adapté au débit moyen», explique Christel Bergström. Ce travail a été soutenu par le Conseil européen de la recherche(s’ouvre dans une nouvelle fenêtre). «Le fait de bénéficier d’une subvention suffisamment importante pour recruter une masse critique de chercheurs s’est avéré fondamental pour la réussite du programme», déclare Christel Bergström. «Ainsi, nous avons obtenu les moyens nécessaires pour aborder les questions difficiles. Sur le plan personnel, cela a été essentiel pour arriver où là j’en suis actuellement en tant que chercheuse, de nombreuses portes m’ont été ouvertes.» L’une des équipes de Christel Bergström a depuis obtenu une subvention de consolidation du CER afin de poursuivre les recherches dans de nouvelles directions, telles que le développement cible de médicaments oraux pour les jeunes atteints d’une maladie inflammatoire de l’intestin. «Nous avons créé une équipe très solide à l’Université d’Uppsala grâce à cette subvention, ce qui nous permettra de continuer à poser des questions difficiles de manière interdisciplinaire», conclut-elle.