Trouver les sources de l’eau atmosphérique
Le cycle hydrologique est un système complexe. Certains processus se produisent à des échelles beaucoup plus petites que ce que peuvent représenter les modèles de prévision météorologique. En outre, certains processus peuvent se compenser mutuellement, ce qui complexifie leur calcul. Ces «erreurs compensatoires indétectables» limitent notre compréhension du cycle hydrologique, qui est par conséquent la plus grande source d’incertitude dans les prévisions météorologiques et les modèles climatiques. L’équilibre entre l’évaporation et les précipitations en est un parfait exemple. L’évaporation rend l’atmosphère plus humide, tandis que les précipitations l’assèche davantage. Étant donné qu’il est plus facile d’observer l’humidité que l’évaporation et les précipitations, une évaporation trop importante peut être compensée par des précipitations trop importantes. «C’est un problème, car nous nous intéressons beaucoup aux précipitations, mais aussi à cause de l’important renouvellement d’énergie lié à ces deux processus, il est donc important d’obtenir des résultats corrects pour les prévisions météorologique», explique Harald Sodemann(s’ouvre dans une nouvelle fenêtre), professeur de météorologie à l’université de Bergen. Les isotopes stables de l’eau peuvent être utiles, car ils sont sensibles aux transitions de phase (comme le passage de l’état liquide à l’état vapeur dans l’océan, et de l’état vapeur à l’état liquide ou à l’état de glace dans les nuages). Toute mesure d’isotopes stables de l’eau dans l’air peut également renseigner sur la quantité d’humidité ajoutée ou retirée les jours précédents. Dans le cadre du projet ISLAS(s’ouvre dans une nouvelle fenêtre) financé par l’UE, Harald Sodemann et son équipe ont étudié l’utilisation des isotopes stables afin de revoir notre vision du cycle de l’eau dans l’atmosphère. L’idée était d’utiliser les mers nordiques comme un laboratoire naturel d’étude des processus sous-jacents à grande échelle.
Suivre l’histoire de la vapeur d’eau de la source au bassin
Les mers nordiques sont le théâtre d’un phénomène météorologique particulier en hiver et au printemps, appelé «poussée d’air froid» (CAO pour cold-air outbreaks). Pendant les CAO, l’air arctique lyophilisé se déplace au-dessus de la lisière des glaces et sur l’eau libre, et puisque l’océan est plus chaud, cela entraîne une forte évaporation dans la basse atmosphère. «Nous savons précisément où se trouve la source d’humidité dans ce cas. C’est pourquoi nous considérons cette région comme un laboratoire naturel», souligne Harald Sodemann. L’équipe a utilisé des instruments à bord d’un avion de recherche, d’un navire de recherche et sur terre pour intercepter la masse d’air CAO à différents stades. Les chercheurs ont ainsi pu déterminer la quantité d’humidité présente dans l’atmosphère et celle qui en a été retirée. Enfin, l’équipe a mesuré les isotopes stables dans la neige au sol.
Intégrer des isotopes stables dans les prévisions des modèles
Les données issues de trois campagnes de mesure constituent le résultat le plus direct et le plus concret du projet, ainsi que son héritage. L’équipe a également obtenu un résultat scientifique inattendu lié aux mesures effectuées en 2020 au-dessus du Svalbard, qui ont permis de résoudre une controverse relative aux isotopes stables dans l’Arctique. Harald Sodemann a toutefois souligné que les connaissances acquises dans le cadre d’un projet ne se limitent pas à la réalisation d’un objectif ou à l’obtention d’un résultat. «Cela concerne la façon dont nous envisageons le cycle de l’eau, comme une séquence d’événements liés plutôt que comme un état isolé», explique-t-il. L’équipe a pu confirmer la pertinence du concept consistant à utiliser des isotopes stables de l’eau pour retracer l’histoire de la vapeur d’eau de la source au puits. «Cela souligne l’intérêt d’inclure les isotopes stables dans les prévisions des modèles, au moins à des fins de recherche», ajoute Harald Sodemann.
Intégrer la science citoyenne
Les idées du projet se poursuivront dans le cadre du projet Water4All de l’UE, dans un projet hautement interdisciplinaire nommé ISOSCAN(s’ouvre dans une nouvelle fenêtre) qui explorera l’utilisation des mesures d’isotopes stables dans la neige de surface afin d’améliorer les prévisions de ruissellement des rivières. «À cette fin, nous ferons appel à la science citoyenne pour recueillir la neige de surface sur de vastes zones et impliquer les habitants et les touristes dans le processus scientifique», explique Harald Sodemann.