Produire des carburants d’aviation à partir de zéro
L’aviation est fortement tributaire de carburants à haute densité énergétique, ce qui en fait le deuxième consommateur d’énergie dans le secteur des transports, après la route. Malgré des décennies de progrès technologiques visant à améliorer l’efficacité énergétique, le secteur dépend toujours des combustibles fossiles, contribuant de manière considérable aux 13 % d’émissions de gaz à effet de serre du secteur des transports.
Une nouvelle manière de fabriquer du carburéacteur
Afin de réduire la dépendance de l’aviation à l’égard des combustibles fossiles, le projet 4AirCRAFT(s’ouvre dans une nouvelle fenêtre), financé par l’UE, a exploré des méthodes innovantes de production de carburant directement à partir de dioxyde de carbone (CO2) et d’hydrogène (H2). L’équipe a développé une technologie qui convertit le CO2 en hydrocarbures à longue chaîne (≥C8), utilisés comme précurseurs du carburéacteur. «Nous avons converti le CO2 en monoxyde de carbone (CO) et en hydrogène (H2) à température ambiante, puis transformé l’hexanol (un type d’alcool) en une fraction d’hexène dans des conditions douces (140-160 °C), avant de les convertir en hydrocarbures à longue chaîne», explique Vanesa Gil, coordinatrice du projet. Le concept de 4AirCRAFT repose sur un réacteur en cascade unique composé de trois modules interconnectés. «Nous avons concentré nos recherches sur l’optimisation de la sélectivité du CO2 et de sa conversion électrochimique en produits utiles (module de réacteur électrochimique) et sur la déshydratation de l’alcool en hexènes puis en hydrocarbures à longue chaîne (au moyen d’un module de réacteur chimiocatalytique biomimétique)», ajoute Vanesa Gil. L’approche globale repose sur la production d’alcools à partir de gaz de synthèse (un mélange de CO et de H2) s’appuyant un module microbien comme étape intermédiaire. Le module d’électro-réduction du CO2 utilise un assemblage d’électrodes à membrane à écart nul, qui fournit une sélectivité de 48 à 96 % pour le CO et de 52 à 96 % pour le CO + H2 à température ambiante. Le module chimiocatalytique biomimétique convertit les alcools tels que le 1-hexanol en hydrocarbures à longue chaîne et en précurseurs de carburéacteur. En utilisant des catalyseurs inspirés de l’argile et imprimés en 3D, il déshydrate le 1-hexanol en hexènes avec un rendement en alcènes allant jusqu’à 96 % et convertit les alcènes en hydrocarbures et en esters avec un taux de conversion de 95 %.
Des catalyseurs plus performants pour des carburants plus propres
Le projet a fait appel à des électro- et chimiocatalyseurs avancés en optimisant leur environnement pour rendre le processus plus efficace sur le plan énergétique. Les catalyseurs à base de zinc (Zn) ont affiché une sélectivité de 90 % pour la production de CO et de 94 % pour un mélange de CO et de H2. Dans la deuxième étape, la déshydratation de l’hexanol en hexènes souhaités a atteint des rendements de plus de 70 % aux températures les plus basses jamais rapportées pour cette réaction. Les catalyseurs les plus performants comprenaient des composés tels que le triflate d’hafnium, le triflate de cuivre, l’acide triflique et les matériaux à base d’argile, tous utilisés en faibles quantités catalytiques (2-10 % molaire).
Des enzymes en tant que biocatalyseurs
Les chercheurs ont également exploré l’utilisation de biocatalyseurs pour la déshydratation de l’alcool, en améliorant la manière dont ces catalyseurs sont stabilisés et en améliorant les performances de la synthèse Fischer-Tropsch (un processus chimique convertissant le CO et le H2 en hydrocarbures liquides) dans des conditions douces. La biocatalyse a notamment porté sur l’exploration de la linalool déshydratase isomérase (LinD), une enzyme naturelle qui déshydrate les alcools. Testée sous différentes formes, dont des cellules entières, l’enzyme purifiée, les culots cellulaires et les extraits bruts, elle déshydrate de manière satisfaisante certains alcools primaires comme le géraniol, mais peine à en déshydrater d’autres. Elle a toutefois démontré un fort potentiel de conversion des alcools allyliques en produits de haute valeur.
Accroître les performances des enzymes avec des cadres métallo-organiques
Pour améliorer encore les performances de l’enzyme, l’équipe a fait appel à des réseaux métallo-organiques (RMO), des structures qui peuvent encapsuler des enzymes en toute sécurité. «Bien que cela ait réduit l’activité, cela a permis de jeter les bases de la création d’hybrides enzyme-RMO stables, ouvrant ainsi de nouvelles possibilités pour l’ingénierie des catalyseurs avancés», souligne Vanesa Gil.
Surmonter les limitations
Les méthodes conventionnelles de production de carburants à partir de sources fossiles pêchent souvent par leur manque d’efficacité et de sélectivité et par des taux de conversion trop faibles. 4AirCRAFT a fait la démonstration d’une technologie performante, flexible et évolutive pour convertir le CO2 recyclé en carburants liquides durables, en se concentrant sur la conception de matériaux catalytiques pour surmonter les barrières énergétiques dans les étapes clés de la réaction.