Une étude sur l’hérédité des traits remet en question la simplicité de l’action isolée des gènes
Les populations naturelles, telles que les groupes d’animaux, de plantes ou même d’êtres humains, présentent une étonnante variété de traits. Ces traits comprennent les caractéristiques physiques, le fonctionnement de leur corps, leur comportement et même leur sensibilité aux maladies. L’un des grands objectifs de la biologie est de déterminer quels sont les gènes spécifiques à l’origine de ces différences. Toutefois, ce processus est plus complexe qu’il n’y paraît. Les traits ne sont pas seulement influencées par les gènes, mais aussi par des facteurs non génétiques tels que l’environnement et l’épigénétique (changements chimiques qui affectent le fonctionnement des gènes sans modifier l’ADN lui-même). Même en se concentrant uniquement sur l’aspect génétique, la recherche peine encore à déterminer tous les facteurs génétiques à l’origine de traits complexes.
Pourquoi les traits sont difficiles à prédire
C’est ce qu’on appelle le problème de l’«héritabilité manquante». Lorsque les scientifiques étudient les familles, ils peuvent estimer la part d’un trait qui est héritée. Mais lorsqu’ils recherchent les variantes génétiques spécifiques responsables, même en utilisant des outils tels que les études d’association à grande échelle sur le génome, ils ne peuvent expliquer qu’une petite partie de cette héritabilité. La raison en est la complexité de la génétique. Selon Joseph Schacherer, coordinateur du projet PhenomeNal financé par l’UE, de nombreux facteurs sont négligés. Il s’agit notamment de variantes génétiques rares qui, bien que peu courantes, peuvent avoir un impact profond ou d’interactions entre les gènes (épistasie), lorsque l’effet d’un gène dépend de l’activité d’autres gènes. Un autre facteur est lié aux différences d’expression des gènes, ce qui signifie qu’un même gène peut se comporter différemment selon l’individu. «Nous avons révélé que les traits ne sont pas seulement influencés par les gènes individuels, mais qu’ils sont façonnés par des interactions complexes, des variantes rares et un contexte génétique plus large», note Joseph Schacherer. «Même des traits apparemment simples peuvent varier considérablement d’un individu à l’autre en raison de facteurs cachés tels que l’épistasie et l’expressivité, c’est-à-dire le degré d’expression d’un gène.» Ces résultats remettent en question l’idée traditionnelle selon laquelle les traits suivent des règles génétiques prévisibles et contribuent à expliquer pourquoi de nombreux traits chez l’homme et d’autres organismes sont difficiles à cartographier ou à prédire.
La levure de boulangerie, une fenêtre pour décoder la complexité génétique
Pour leur étude, les chercheurs se sont concentrés sur Saccharomyces cerevisiae, ou levure de boulangerie. Son génome est simple, à croissance rapide et facile à manipuler, ce qui la rend idéale pour la recherche. Contrairement à l’homme ou à d’autres organismes complexes, la levure de boulangerie prospère dans des environnements étroitement contrôlés, tandis que sa riche diversité génétique est capturée dans des milliers d’isolats naturels. En outre, elle partage avec l’homme des processus biologiques similaires, ce qui en fait un système précieux pour découvrir des principes génétiques universels. «En croisant différents isolats de levure et en analysant la transmission de leurs traits, nous avons révélé comment les différences génétiques, les mutations rares et les interactions génétiques complexes influencent la croissance, la résistance au stress et la survie», explique Joseph Schacherer. Grâce à des outils puissants tels que le séquençage du génome, les robots à grande vitesse et l’édition de gènes, l’objectif était de dresser un tableau complet de la manière dont les traits émergent de la variation génétique. «Des tests fonctionnels utilisant des banques d’allèles et l’édition CRISPR(s’ouvre dans une nouvelle fenêtre) ont montré comment la composition génétique d’une souche affecte l’impact de gènes spécifiques. De plus, la mutagenèse par transposon(s’ouvre dans une nouvelle fenêtre) a permis d’identifier des gènes essentiels dans des contextes spécifiques, offrant ainsi une vision de l’expression génétique et de la stabilité des voies biologiques à l’échelle du génome», ajoute Joseph Schacherer. Soutenus par le Conseil européen de la recherche, les travaux du projet s’avèrent indispensables pour faire progresser la génétique, améliorer la prédiction des traits, et informer des domaines tels que la médecine personnalisée et la biologie évolutive.