Des souris et du stress
La relation entre le stress et l’alimentation peut parfois être assez toxique. «Le stress peut avoir un impact direct sur l’apport alimentaire, poussant les personnes à consommer en excès des aliments gras et sucrés», explique Frank Meye(s’ouvre dans une nouvelle fenêtre), chercheur à l’UMC Utrecht(s’ouvre dans une nouvelle fenêtre). Mais que fait exactement le stress au cerveau pour déclencher cette hyperphagie boulimique? Appuyé par le projet ReCoDE, financé par l’UE, Frank Meye entendait le découvrir. À l’aide de modèles murins, le projet soutenu par le Conseil européen de la recherche(s’ouvre dans une nouvelle fenêtre) a examiné quels circuits cérébraux sont impliqués dans l’alimentation liée au stress.
Le cerveau et son rôle dans l’apport alimentaire
Le projet s’est concentré sur une région située à l’avant du cerveau appelée cortex préfrontal (CPF), connue pour jouer un rôle important dans la prise de décision, le contrôle des impulsions et la formulation de stratégies comportementales. «C’est également une région très sensible au stress, associée aux troubles alimentaires et à l’obésité», ajoute Frank Meye. En outre, les chercheurs ont examiné une autre région du cerveau appelée zone hypothalamique latérale (LHA pour «lateral hypothalamic area»). Selon Frank Meye, cette dernière joue un rôle important dans l’apport alimentaire. «Au sein de la LHA, nous trouvons des neurones qui participent activement à stimuler notre appétit pour les aliments savoureux, et d’autres qui participent à le réduire», explique-t-il. Les neurones de la LHA reçoivent également un signal d’entrée important provenant des neurones du CPF. «Sachant cela, nous avons entrepris de tester notre hypothèse selon laquelle le stress modifierait la communication entre le CPF et la LHA de telle sorte que les neurones de la LHA responsables de la “dépendance alimentaire” deviennent plus actifs et que les neurones de la LHA responsables du “blocage alimentaire” deviennent moins actifs, au point d’entraîner une augmentation de l’appétit et même des crises d’hyperphagie boulimique», note Frank Meye.
L’alimentation liée au stress commence après le fait
Les chercheurs ont découvert que, lorsqu’une souris est stressée, il se produit une réactivité immédiate des neurones du CPF qui se projettent vers la LHA. Ce qui était particulièrement intéressant toutefois, c’est ce que les chercheurs ont observé le lendemain de l’événement stressant. D’une part, ils ont constaté un renforcement de la communication entre les neurones du CPF et certaines cellules de la LHA qui augmentent l’apport alimentaire lorsqu’elles sont actives. En revanche, ils ont relevé que l’événement stressant affaiblissait la communication entre les neurones du CPF et les cellules de la LHA responsables de la diminution de l’apport alimentaire. Les chercheurs ont également noté que ces changements de plasticité prolongés dans le réseau CPF-LHA coïncidaient avec une augmentation de l’appétit et des comportements d’hyperphagie boulimique chez les souris. «Le fait que ce comportement se soit produit le lendemain de l’épisode de stress est important, car cela souligne que ce n’est pas forcément au plus fort du stress qu’on pense à manger, mais un peu plus tard», fait remarquer Frank Meye.
Ouvrir la voie à de nouvelles méthodes de traitement des troubles alimentaires
Un autre résultat clé a été la découverte que le rôle du CPF dans l’apport alimentaire n’apparaît que dans un contexte de stress. «Lorsque nous avons inhibé la voie CPF-LHA chez des souris stressées, un phénomène intéressant s’est produit: elles consommaient une quantité normale de nourriture, comme si elles n’étaient pas du tout stressées», explique Frank Meye. Ce sont des découvertes révolutionnaires comme celle-ci qui pourraient ouvrir la voie à de nouvelles méthodes de traitement des troubles alimentaires et de l’obésité. «Comprendre la neurobiologie sous-jacente aux effets du stress sur l’alimentation pourrait, à long terme, fournir des cibles pour des stratégies d’intervention, fondées sur des bases biologiques, pour traiter de telles affections», conclut Frank Meye.